Le retour du Serpent à Plumes


Ébauche de scénario chez les Aztèques au temps des conquistadores, réalisée à l'origine pour le vingt-et-unième concours de scénarios de la Cour d'Obéron, et présentée ici dans une version mise à jour.
Le thème du concours était des hommes ordinaires, et l'élément imposé, un décalage.

Si vous êtes censés participer à ce scénario en tant que joueurs, ne lisez pas plus loin...


Ce scénario peut indifféremment être joué par un groupe d'Aztèques ou de conquistadores. Il consiste principalement en la description d'une succession d'évènements au sein desquels les PJ peuvent intervenir... ou se retrouver pris.

Il nécessite de la part du MJ (et probablement aussi, de celle du lecteur) un minimum de connaissances de la civilisation aztèque, voire (mais c'est moins crucial) de la conquête du Mexique par Cortés ; minimum de connaissances qui ne peut bien entendu être fourni ici-même.

Se déroulant début octobre 1519, il a pour cadre la petite ville aztèque (fictive) de Teotlaltzinco, située au pied du volcan Popocatépetl. Avant de faire marcher ses forces, désormais alliées aux Tlaxcaltèques, sur l'Empire Aztèque (et d'abord sur la ville de Cholula, qui sera le théâtre d'un terrible massacre mi-octobre), Cortés a détaché un petit groupe de dix hommes en direction du volcan, sous la direction de l'un de ses lieutenants, Diego de Ordaz (ou de Ordás), avec pour missions de ramener du soufre de son cratère fumant, pour permettre la fabrication de poudre à canon, et d'observer depuis le sommet (culminant à 5452 m) la topographie de la région.
La réussite de l'ascension du volcan (en éruption ?) par Ordaz et deux de ses compagnons ne faisant pas l'unanimité chez les historiens (aucune preuve ne venant en effet la confirmer), le MJ peut prendre un certain nombre de libertés avec les évènements, sans risquer pour autant d'aller contre le cours de l'Histoire.

Teotlaltzinco est une petite bourgade de l'Empire Aztèque, rassemblant une centaine de foyers. Principalement agricole, elle n'en possède pas moins un marché qui draine des gens depuis les villages alentour, un jeu de balle (tlachtli), et surtout plusieurs temples richement ornés (fresques et bas-reliefs, statues et statuettes (dont certaines en or), mosaïques de plumes, etc... De quoi exciter la convoitise et la rapacité des aventuriers espagnols.

Les principaux PNJ sont présentés en fin de scénario.


Le soleil du Mexique

Si les PJ sont aztèques, ce sont des gens du peuple (maceualtin), des artisans, des novices, de petits prêtres, de simples guerriers, voire des esclaves (tlatlacotin) ; le début du scénario est l'occasion de leur faire découvrir un peu la vie quotidienne dans une bourgade indienne précolombienne. S'ils sont espagnols, vous pouvez leur faire jouer le voyage de Tlaxcala à Teotlaltzinco.


Quand on arrive en ville...

Les conquistadores arrivent à Teotlaltzinco dans la matinée. Ce sont bien entendu les premiers hommes blancs que rencontrent les indigènes, et les discussions à leur sujet vont bon train. Lorsque leur interprète explique qu'ils viennent d'au-delà la mer de l'est, quelqu'un comprend soudainement la vérité : le chef des nouveaux arrivants n'est autre que le dieu Quetzalcoatl. Le Serpent à Plumes est de retour ! Et puisqu'il veut gravir le Popocatépetl fumant, peut-être même va t-il à nouveau s'immoler par le feu ?

Informé de cette conclusion, Cecoatzin en personne vient aux devants des conquistadores, accompagné des autres dignitaires de la ville, les bras chargés de somptueux présents destinés à Quetzalcoatl (Ordaz). Teotlaltzinco n'a pas de temple consacré à Quetzalcoatl, mais les Espagnols sont hébergés d'office dans le teccalli (palais du tecuhtli).
Enchanté de cette aubaine, Ordaz décide d'établir ici la base depuis laquelle il partira à l'assaut du Popocatépetl. Il compte y prendre ses quartiers, le temps d'observer la montagne pour choisir la voie par laquelle il parviendra au sommet, d'interroger les autochtones à son sujet, et de recruter guides et porteurs. Bien entendu, les Espagnols comptent également en profiter pour faire main basse sur une partie des richesses de la ville...


Du sang et des âmes pour mon seigneur Ordaz

Les Indiens sont convaincus de la nature divine de Ordaz et de ses compagnons (avec pour ces derniers un statut moindre). Ils décident donc d'organiser l'après-midi en leur honneur un grand sacrifice. Mais lorsqu'il devient visible que les Espagnols sont choqués par la scène à laquelle ils assistent (et tout particulièrement, lorsque Ordaz refuse avec dégoût les aliments imbibés de chalchiuatl (l'eau précieuse : le sang humain des sacrifiés)), cette croyance se lézarde : et si les dieux n'étaient finalement que des hommes ordinaires ? Les discussions à ce sujet vont bon train en privé, même si en public, on continue à servir obséquieusement les conquistadores.


La nuit triste

Le soir de leur arrivée, à la nuit tombée, quelques conquistadores (parmi lesquels il n'est pas impossible qu'il y ait un ou plusieurs PJ), souhaitant assouvir leurs besoins charnels, rôdent dans les rues. Ils aperçoivent Matlalxochitl qui déambule sans méfiance, l'abordent, l'enlèvent, la violent et, pour éviter les problèmes qu'ils ne manqueraient pas d'encourir s'ils étaient dénoncés, la tuent et se débarrassent de son corps en le jetant dans une petite mare à proximité de la ville.
Mais ils ont été aperçus, accomplissant leurs sinistres actions, par un groupe de jeunes sortis procéder à des ablutions nocturnes rituelles (ou par les PJ peut-être, si ceux-ci sont aztèques). La nouvelle du crime est aussitôt rapportée aux notables (sauf Cecoatzin, qui se trouve dans son palais et que les habitants n'ont pas osé contacter, de peur de donner l'alarme aux conquistadores qu'il héberge). Ceux-ci, pour la plupart excédés par le comportement des hommes de Ordaz (qui se comportent, sans surprise pour nous, comme en pays conquis), décident de s'emparer d'eux afin de les sacrifier aux VRAIS dieux (des PJ aztèques peuvent faire la démonstration de leur talent pour la rhétorique ou pour haranguer les foules ; voire inverser le cours normal du scénario en persuadant leurs compatriotes de ne rien tenter contre les conquistadores, mais qui le jouerait ainsi ?).


Dieu est mort (qui a crié : "Je l'fouille ?")

La foule en armes de Teotlaltzinco, menée par Citlalcoatl (et peut-être les PJ aztèques), se dirige vers le teccalli. Si les conquistadores ont posté des gardes, ils seront avertis de l'arrivée des Indiens. Sinon, ils seront probablement pris par surprise. D'éventuels Espagnols traînant hors du palais (des PJ peut-être, par exemple, tentant de s'emparer des richesses des temples à la faveur de l'obscurité) seront attaqués les premiers.

Lorsque la foule pénètre dans le teccalli, Cecoatzin tente de s'interposer, mais en vain (il pourrait aussi être utilisé comme otage par les conquistadores pour couvrir leur fuite, comme le sera plus tard l'empereur Motecuhzoma).

Parmi les premières victimes de l'attaque figure l'interprète, Acacitli, envoyé par Ordaz pour lui rapporter les propos de la foule, et qui sera victime d'un coup un peu trop violent. Une fois celui-ci tué, les conquistadores n'ont plus de réel moyen de communication avec les autochtones, qui ne sont de toutes façons guère disposés à les écouter, et ne peuvent trouver leur salut que dans la fuite.
Le décalage entre la façon de combattre des conquistadores, qui cherchent à tuer leurs adversaires, et celle des Aztèques, qui tentent de les capturer vivants pour les offrir en sacrifice à leurs dieux (décalage dans la façon d'envisager la guerre elle-même qui jouera un rôle non négligeable dans la rapidité de l'effondrement de l'Empire Aztèque face aux hommes de Cortés), permettra peut-être à certains Espagnols de s'échapper dans l'obscurité. Les autres finiront leur vie dans le sang, soit lors de cette funeste nuit, soit quelques temps plus tard sur une pierre sacrificielle.
Oui, malgré les apparences les hommes blancs n'étaient bien finalement que des hommes ordinaires...


Épilogue : Historia verdadera de la conquista del Popocatépetl

Ordaz quant à lui s'en sortira vivant, accompagné de deux autres conquistadores, ceux avec qui l'Histoire retiendra qu'il aura gravi le Popocatépelt. Mais aura t-il réellement accompli cet exploit, ou ne s'agira t-il pas simplement de propagande à l'intention de l'opinion publique et de l'empereur Charles Quint ? Ceci est une autre histoire...


Description sommaire de quelques PNJ

Aztèques :
Cecoatzin : le tecuhtli (gouverneur ; traduit par les Espagnols en "cacique") de la ville est un petit homme d'environ 45 ans, arborant un léger embonpoint et tirant un peu la jambe gauche. Comme le veut sa fonction, il est richement vêtu et porte de nombreux bijoux, dont un imposant labret de turquoise.
Tlacateotzin : quacuilli ("prêtre supérieur") du culte de Uitzilopochtli, le dieu principal des Aztèques. Du même âge que Cecoatzin, il est de taille moyenne et au moins aussi richement orné. Son visage, tanné par le soleil, est fortement ridé.
Camaxteotl : tlamacazqui (simple prêtre) du culte de Tlaloc, dieu de l'eau et de l'agriculture. Érudit et lettré, il sera un interlocuteur de choix pour quiconque souhaite se renseigner sur la région, sur le Popocatepetl en particulier. Comme tout bon prêtre aztèque, il vit dans l'austérité.
Tentlalpitoc : le calpixqui ("majordome" pour les Espagnols), c'est-à-dire le fonctionnaire chargé en particulier des impôts. Fort volubile, il est de tempérament jovial.
Quauhtlatoa : grand, sec, austère, cet homme aux cheveux blancs, presque un vieillard, exerce les fonctions de juge. Il a en particulier sous son autorité deux hommes qui sont les "policiers" de Teotlaltzinco.
Citlalcoatl : guerrier âgé d'un peu plus de trente ans, il est responsable du tlacochcalli ("arsenal" où sont entreposées les armes des guerriers de la ville). Célèbre (localement du moins) pour ses faits d'armes, il a capturé de nombreux prisonniers qui ont été sacrifiés sur les autels de la ville.
Itzalcoyotl : ce vieillard, ancien amantecatl (plumassier, artisan qui réalise des objets de plumes), rendu presque aveugle par la cataracte, a lorsqu'il était jeune tenté de gravir le Popocatépetl. Il n'a même pas réussi à s'approcher du sommet, mais il pourrait être de bon conseil pour les futurs alpinistes.
Matlalxochitl : cette très jolie mais toute petite jeune femme aux longs cheveux et à la jupe brodée est l'une des auianime locales (une "courtisane" fréquentée par les guerriers célibataires).

Espagnols :
Diego de Ordaz : âgé de 39 ans, il est de loin le plus âgé des dix Espagnols, les autres ayant entre vingt et trente ans. Seul à se déplacer à cheval, arborant une superbe barbe noire, le teint hâlé mais bien plus clair que la peau mate des Indiens, et ses cheveux courts coiffés d'une bourguignotte emplumée, c'est lui (et non Cortés) qui, suite à la présente expédition, sera à l'origine de la rumeur selon laquelle Quetzalcoatl est revenu au Mexique. Aventurier courageux, il est aussi fin tacticien et bon meneur d'hommes, et Cortés, qui lui doit sans doute la victoire de Ceutla (25 mars 1519), lui a confié le commandement de son infanterie.
Les conquistadores : les neuf hommes sous le commandement d'Ordaz sont des combattants aguerris, chacun ayant affronté les Indiens à plusieurs reprises et été blessé au moins une fois depuis le début de l'expédition. Tous ne sont pas armés d'arquebuses, certains n'ayant qu'une arbalète ; mais leurs piques et leurs épées d'acier sont bien supérieures aux armes indiennes. Issus du peuple, ce sont des soudards incultes, qui voient les Indiens comme des barbares primitifs aux coutumes sanglantes, adorant des démons. Ils perçoivent leur environnement selon deux aspects principaux : les richesses (et les plaisirs) d'une part, les choses militaires d'autre part.
Acacitli : les Espagnols sont accompagnés de quelques porteurs indigènes. Celui-ci, à force de fréquenter les conquistadores (qui écorchent son nom en Acacili), a acquis des rudiments de leur langue. Il sert donc d'interprète pour le détachement de Ordaz, toute discussion avec les autochtones se faisant obligatoirement par son intermédiaire (à moins qu'un PJ conquistador n'ait lui-même appris le nahuatl). Mais du fait de sa maîtrise imparfaite de l'espagnol, ses traductions sont laborieuses... et parfois erronées.
Notez bien qu'en l'absence d'Acacitli, aucune communication orale (autre que celle véhiculée par les intonations de la voix) n'est possible entre Espagnols et Indiens.


Notes

Conseils :
Si les PJ sont des Aztèques, insistez sur leur mode de vie et sur le contraste violent entre leur mentalité et celle des Espagnols.
Si les PJ sont des conquistadores, faites leur prendre de haut les Indiens "à peine civilisés", écorchez les termes nahuatl, et employez le vocabulaire réducteur et parfois inapproprié des Européens de l'époque (parlez de cacique et non de tecuhtli, par exemple). Mais ce faisant, ne perdez pas une occasion de montrer la civilisation aztèque sous un jour supérieur à celle des Espagnols...

Une lointaine suite possible (si les PJ sont espagnols) :
Dans les années précédant sa mort (en 1532), Diego de Ordaz explora le bassin de l'Orénoque, à la recherche du mythique Eldorado. Ses anciens compagnons d'armes du Mexique l'auront ils suivi dans cette nouvelle aventure ?

Remarque :
Il semble de plus en plus établi que la croyance des Aztèques en la nature divine de Cortés est une invention a posteriori de ce dernier (ou tout au moins une enjolivure manifeste). Mais il y a quand même quelques coïncidences étonnantes ; et puis ne crachons pas sur une idée de scénario intéressante...

Codex :
Le thème des Aztèques et des conquistadores n'a jusqu'à présent que peu été traité en JDR. Voici quelques pistes de lecture (tout en sachant que RIEN ne remplacera la consultation de l'ouvrage de Jacques Soustelle sur le sujet, La vie quotidienne des Aztèques à la veille de la conquête espagnole, réédité début 2008 chez Hachette Littératures sous le titre Les Aztèques) :
- GURPS Aztecs : très bon traitement du sujet, comme à l'accoutumée dans la gamme GURPS.
- GURPS Who's Who 1 consacre deux pages à Cortés, avec caractéristiques et biographie (mais cela ne présente pas une grande utilité pour le présent scénario).
- articles Les Aztèques et Tenochtitlán capitale des Fils du Soleil et scénario pour Simulacres La mangeuse d'ordures dans Casus Belli n° 62 (mars - avril 1991), et articles Les conquistadores et Sous les ordres de Cortez : l'épée, l'or et la croix dans Casus Belli n° 64 (juillet - août 1991) : les articles sont très synthétiques (format oblige !) et le scénario contient du fantastique.
- Temples of Blood, intéressant scénario pour Timemaster se déroulant pendant l'expédition de Fernand Cortés.


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